Article du 05/09/2020
Le Marvillois, un modèle de boucherie récompensé - Article de l'Est Républicain du 5 septembre 2020
La boucherie Le Marvillois, à Montmédy, vient d’être déclarée « Entreprise du patrimoine ». Une distinction qui récompense son savoir-faire mais aussi son modèle économique et humain construit sur le circuit court avec des éleveurs locaux.
« C'est la preuve qu'en Meuse du Nord on est capable de faire de belles choses », sourit Bertrand Monteil, le patron de l’entreprise de salaisons, charcuteries artisanales et boucherie au détail Le Marvillois, à Montmédy.
Dans sa main, il tient un courrier qui émane du ministère de l’Économie. Une lettre désormais plastifiée qui l’informe que son entreprise a reçu le prestigieux label « Entreprise du patrimoine vivant ».
Ce label récompense un savoir-faire exceptionnel allié à une démarche innovante tant économiquement que socialement.
Allier tradition et modernité
Alors forcément pour Bertrand Monteil qui s’est investi cœur, corps et âme dans cette entreprise, fondée il y a 27 ans, qu’il a rachetée en 2010, une telle récompense, « c’est une consécration, j’en ai pleuré en pensant aux créateurs du Marvillois, à ceux qui m’ont appris à travailler, comme mon maître d’apprentissage ».
Il faut dire que l’enfant du pays, viscéralement attaché à la terre, a pris un gros pari en 2016 en décidant de bâtir son modèle sur le circuit court et de ne travailler qu’avec des éleveurs locaux. Un pari dont il double la mise en rapatriant en septembre 2019 sa boucherie alors située à Saint-Jean-lès-Longuyon dans des locaux flambant neufs dans la zone artisanale du Bossu-Pré de Montmédy.
Mais si les locaux sont neufs, les méthodes de production restent, elles, traditionnelles. Le petit-fils du boucher qui avait fondé sa boucherie à Neuves-Maisons en 1932 y tient absolument. Des méthodes ancestrales alliées à un outil de production moderne qui facilite le travail de ses employés, c’est peut- être ce qui a séduit l’auditeur du label EPV. À l’image du fumage au bois de hêtre à l’ancienne de la viande.
Mais sans nul doute que ce qui a permis à Bertrand Monteil de décrocher le précieux sésame, c’est d’avoir ainsi réussi à ce que circuit court et business fassent bon ménage.
« Au-delà du business c’est une histoire d’hommes. »
Il n’est pas tabou pour lui d’avouer que son entreprise gagne de l’argent. En quatre ans le Marvillois a triplé son chiffre d’affaires, et est passé de 5 à 20 salariés. Une réussite dont il fait profiter pleinement les trois éleveurs avec lesquels il a tissé des liens étroits, Charles Robert, le jeune éleveur d’agneaux, Patrick Lanheur, le doyen éleveur de charolaises et Pierre Fleury, un autre éleveur de bovins.
Tous sont situés à moins de 10 km de la boucherie : « Ce circuit court je ne l’imaginais pas sans eux ! Au-delà du business c’est une histoire d’hommes. » Même l’abattoir situé à Virton en Belgique n’est qu’à 16 km.
Là aussi ce choix vise à réduire le stress animal. Ce modèle qui pouvait paraître osé au départ a été conforté plus encore dans sa viabilité par la crise sanitaire. En quête d’authenticité, de produits locaux, les clients ont plébiscité Le Marvillois, la boucherie ne désemplissant pas.
« Et ce n’est pas une mode, le retour à la terre ça revient ! »
« Quand les gens me disentest délicieuse, c’est valorisant ! »
Nichée au creux d’une vallée de Thonne-le-Thil, l’exploitation familiale qu’a repris Charles Robert en 2014, faisant de lui la cinquième génération à sa tête, compte aujourd’hui pas moins de 700 brebis. Une belle bergerie que le jeune homme, fidèle à ses racines, a su faire évoluer la dotant de nouveaux bâtiments chaque année. C’est lui qui a fait la démarche de contacter le patron du Marvillois, Bertrand Monteil.
« Avant je travaillais en coopérative, mais ça ne me plaisait pas », confie-t-il. Il supportait notamment de moins en moins de voir ses bêtes qu’il élève avec grand soin au plein air embarquer dans des camions pour l’autre bout de la France. « Et puis il y a des bouches à nourrir en Meuse. »
Des gains financiers
Grâce au circuit court établi, c’est lui-même qui emmène ses animaux à seulement 17 km de là. Autre avantage du circuit court, le retour direct du consommateur. « Quand les gens me disent que ma viande est délicieuse, c’est valorisant ! »
Sensible aux qualités humaines et professionnelles de Charles Robert, Bertrand Monteil n’a pas hésité à le prendre sous son aile, l’introduisant notamment dans le monde de la grande distribution. Avec son partenariat avec le Marvillois, aujourd’hui l’éleveur s’y retrouve financièrement mieux qu’avant. Mais humainement aussi, les deux hommes s’étant liés d’amitié et refaisant volontiers le monde en admirant le border vollie Hoeppi, l’un des trois chiens de troupeau de Charles, reconduire avec brio les brebis à la bergerie.
Patrick Lanheur a retrouvé la reconnaissance du métier
Quand Bertrand Monteil, le patron du Marvillois, est allé proposer à l’éleveur de bovins Patrick Lanheur de travailler ensemble, c’était loin d’être gagné. En fin de carrière, l’éleveur n’avait plus vraiment la foi en son métier.
« On était dans un système traditionnel avec une agriculture menée par des systèmes coopératifs », explique celui qui est à la tête de l’exploitation familiale depuis 1982. Un modèle « qui n’offre plus aucune rémunération du travail parce qu’il y a trop d’intermédiaires ».
Alors quand Bertrand Monteil lui parle de son modèle de circuit court, il tend l’oreille. Au-delà de l’aspect financier, certes bien plus intéressant, c’est surtout de pouvoir renouer le contact directement avec les consommateurs et les distributeurs qui réjouit Patrick. « Ça m’a permis de retrouver de la reconnaissance, pour mon travail, mon métier, avec ses difficultés. » Un contact qui s’est renoué plus encore avec la crise sanitaire. Les deux hommes, malgré quelques prises de becs constructives, ont appris l’un de l’autre. « Moi je n’y connais rien au business, au commerce, Bertrand, lui, ne connaît pas le métier d’agriculteur, ça nous a stimulés. »
L’envie est revenue
Aujourd’hui, chose sûre, le modèle fonctionne, et « ça m’a redonné l’envie car je n’avais plus aucune perspective d’avenir ». Une envie contagieuse puisque sa fille Émilie, coiffeuse, est revenue à la ferme donner un coup de main à son père quelques jours chaque semaine.
Peut-être pourrait-elle même reprendre la ferme et ses 180 bêtes... Rien n’est fait mais en tout cas « aujourd’hui j’ai des ouvertures »... Cela pourrait redonner de l’espoir à bien des familles d’agriculteurs dans la même situation.
Richard RASPES - L'Est Républicain